Réquisitoire contre Pierre Perret
30 novembre 1982
Françaises, Français,
Belges, Belges,
Mon président mon chien,
Monsieur l'avocat le plus bas d'Inter,
Mesdames et messieurs les jurés,
Public chéri, mon amour.
Bonjour ma colère, salut ma hargne, et mon courroux... coucou.
J'abrège le début, on n'est pas là pour perdre du temps en salamalecs, j'ai un cassoulet sur le feu. Ça n'attend pas. Ça mijote avec la couenne et les viandes, le lard, la toulouse, l'échiné, le canard, le mouton et l'ail et les mogettes et le bouquet garni, n'oubliez pas ! Maintenant il va falloir que je mette le confit, à peu près à mi-cuisson. Si vous mettez le confit au début de la cuisson, connards, il va être complètement en bouillie, alors que la couenne sera encore raide comme le pneu de la justice... comme le pneu Michelin... comme le Massif central. Ou alors faut faire blanchir la couenne au début avec la poitrine demi-sel. Remarquez, ça serait plutôt la recette de Castelnaudary que celle de Toulouse...
Bien. De quoi s'agit-il? Qui c'est celui-là? Qu'est-ce qu'il a fait? Allez, vingt ans, qu'on lui en colle pour vingt ans. À propos de colle, dans la recette de Castelnaudary, ils ne mettent pas de confit, les cons ! Alors évidemment, z'est sec, z'a attache, z'est pour za que le cazzoulet de Caztelnaudary colle.
Tiens, je lis dans votre dossier que vous naquîtes à Castelsarrasin, monsieur Perret. Ah, Castelsarrasin, rude cité médiévale aux lourds vestiges de pierre ! Ô tragiques échos des fracassantes batailles de fer de feu de sang ! Mille ans après vous résonnez de mort quand s'abat la minuit sur l'orgueilleux vestige de la fière église romane que Castelsarrasinus Ier, roi de Tartégarronie, fît bâtir en 1150 sur les lieux mêmes où Tarnus et Garonnus tétèrent la louve sarrasine avant de fonder les premiers remparts de cette ville si belle qu'aujourd'hui encore on l'appelle la Sarcelles du Sud. Autant Castelsarrasinus Ier était fier et bien membre, autant son fils Castelsarrasinus II était lâche et mou. Velléitaire et peu consciencieux, il arrêta les Arabes à moitié en 1632. C'est alors que, dans sa prison de Castelsarrasin, le sultan Ahmed Ali Kahassoul, pour tuer le temps en attendant la mort, se mit à inventer le plat qui allait porter son nom, le kahassoul, qui, passant plus tard du couscoussier géant à la petite casserole garonnaise, troqua son nom barbare de kahassoul pour celui, plus tendre à l'oreille, de kaaasoulé.
Le cassoulet enfin inventé, il ne restait plus qu'à exterminer les Arabes et à inventer le vin rouge, car un cassoulet sans vin rouge c'est aussi consternant et incongru qu'un curé sans latin ou qu'une femme à genoux sans porte-jarretelles, rayer la mention inutile.
Le vin rouge fut inventé en 1643 par le duc de Bordeaux, qui ressemblait à Mauroy, mais je m'égare et pas seulement d'Austerlitz. De nombreuses personnes accompagnent couramment le cassoulet de vin de Cahors ou de Madiran. Ce sont des imbéciles, ou des pauvres, quelquefois les deux. Le madiran râpe, agresse et laisse en bouche le goût âpre et grossier des cépages pierreux. Son seul intérêt, qui permit à la France profonde de lutter contre la surpopulation, à Castelsarrasin après la guerre d'Algérie : les harkis sont solubles dans le madiran.
Quant aux vins de Cahors, il y a les meilleurs et il y a les pires. Les pires ayant fait une entrée en force sur le marché depuis qu'une poignée de noctambules parisianistes éthyliques de gauche en ont galvaudé le snobisme de chez Castel à la Coupole et de Tata Sagan à Carlo Ponti en passant par la Loren avec ses gros sabots.
Ainsi lança-t-on dix ans plus tôt la mode imbécile du beaujolais nouveau qui permet désormais tous les ans à des vignerons peu scrupuleux d'écouler vite fait leur saloperie de bibine pas mûre et trafiquée à la plus grande joie de millions de prolétaires zingueurs qui viennent se faire ronger les muqueuses après le turbin à grandes goulées violacées de cette vomissure corrosive si épouvantable et si totalement imbuvable que même un Portugais n'en voudrait pas.
Attention. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Il y a de bons beaujolais. Même jeunes. Un bon beaujolais chiroubles ou fleury se reconnaît à sa robe qui doit être brillante et translucide... Rien que de voir à travers sa robe, on a envie de la boire et c'est pourquoi le vin est femelle et le bien boire érotique!
Pour en revenir aux graves problèmes de l'heure, mesdames et messieurs les jurés, je dirai, au risque de me faire excommunier par le premier Castelsarrasinois venu, que seul un grand bordeaux peut souligner à point la lourde folie sensuelle polychrome d'un grand cassoulet toulousain. Ah, saint Emilion, priez pour moi, pauvre pécheur ! Pierre Perret, mon lapin, vous qui semblez un homme normal comme moi, avec votre trogne de chanoine lubrique à culbuter les nonnes pendant l'élévation quant les autres baissent la tête et la queue, Pierrot, mon frère, je le sais, je le sens, je sais que, comme moi, tu sais ce que jouir veut dire, et que tu peux prendre la même extase à téter une femme du monde qu'à sucer un Figeac 71, à mordre dans un sein blanc d'adolescente exquise ou dans la chair fondante d'une échine attendrie nimbée à peine de l'effluve tendre de la girofle poivrée que la mogette blanche entomatée de rouge atténue sous ta langue affolée où le jus flamboyant de la treille gicle en un spasme lent entre tes grandes lèvres offertes... Ah, Dieu me sustente, comme dit mon oncle : « Un homme qui aime la bonne chère et le bon vin ne peut pas être tout à fait mauvais », et Mère Teresa d'opiner : « Ça, c'est vrai ça ! »
Oui, c'est vrai. Pourquoi croyez-vous que les petits enfants faméliques aux yeux fiévreux du tiers-monde, qui s'étiolent et se fanent pendant que nous bâfrons, pourquoi, mesdames et messieurs les jurés, croyez- vous que ces enfants-là ont parfois le regard mauvais ? C'est parce qu'ils ne savent pas apprécier un bon cassoulet ou un bon vin. Pourquoi croyez-vous que le regretté chancelier Hitler ait affiché toute sa vie sur sa noble tête aryenne cet air atrabilaire et bougon qui lui valut une certaine réputation d'intolérance auprès des milieux cosmopolites européens? Parce qu'il ne savait pas se tenir à table. Voilà un homme qui, tout au long d'une vie entièrement consacrée à la lutte contre l'antinazisme primaire, ne sut jamais se servir d'une poêle ou d'une casserole ! Quant à ce qui sortait de son four à gaz, je vous raconte pas. Arthur Martin vous en donne plus.
Je voudrais ouvrir ici une courte parenthèse. J'ai pleinement conscience, soudain, de l'extrême mauvais goût que je montre en ricanant bassement sur un thème aussi grave que les fours crématoires.
Quarante ans ont passé, mais toutes les plaies ne sont pas refermées, c'est pourquoi, afin qu'ils ne me tiennent pas rigueur de l'esprit grinçant que j'affiche ici dans le seul but d'être à la mode, je prie sincèrement les anciens nazis de bien vouloir m'excuser de me moquer d'eux aussi sottement et aussi peu charitablement.
Mais je cause, je cause, et le cassoulet n'attend pas. Avant de céder la place à la traditionnelle minute d'expression corporelle des ballets de Lisbonne, je ne voudrais pas que l'on m'accusât de sectarisme pro- saint-émilion. Les meilleurs cassoulets s'accommodent fort bien des meilleurs graves rouges. Il faudrait être hépatique ou iranien pour cracher sur un pape clément 66 ou un haut-brion, même plus jeune. Personnellement, je fais confiance au château haut-brion, dont le vignoble, en plein faubourg de Bordeaux, est entretenu avec amour par des vignerons élevés en liberté et entièrement nourris au maïs. J'ai à la maison des demi-bouteilles de haut-brion. Quand j'ai envie de me taper un cassoulet tout seul à la maison (je pratique l'onanisme gastronomique), au lieu d'ouvrir une grande bouteille, j'en ouvre sept ou huit petites ! Astucieux, non?
Donc Pierre Perret est coupable, mais son avocat vous en convaincra mieux que moi.
Pierre Perret: Dommage qu'il y ait eu Brassens avant lui et Coluche après. Sinon, aujourd'hui, il ne serait pas connu seulement pour ses livres de cuisine.